La trés vive opposition qui s'était manifestée contre le projet de construction
d'une centrale nucléaire à Plogoff (Finistére) avait conduit les services de la Direction
Générale de l'Energie et des Matiéres Premiéres du Ministére de l'Industrie à publier
un document justifiant le choix du nucléaire pour la France.
L'écologie était, à l'époque, à ses premiers balbutiements et la lecture de cet
opuscule permet de constater que le danger des émissions de gaz à effet de serre et
le réchauffement climatique qu'il génére n'était pas une préoccupation du moment et
ne constituaient donc pas un critére de choix en matiére d'énergie.
Aprés avoir noté :
- Une aggravation du déficit de la balance commerciale de la France consécutivement à
l'augmentation considérable du coût des hydrocarbures par suite des chocs pétroliers et
la dépendance accrue de notre pays envers les pays producteurs en raison d'une demande
soutenue d'énergie due à la croissance économique.
- Le caractére limité des ressources énergétiques nationales traditionnelles :
- Charbon
: épuisement des réserves à un prix de revient compétitif.
- Hydraulique
: possibilités de nouveaux équipements réduites.
- Gaz
: décroissance prévue de la production en raison de l'épuisement du gisement de Lacq.
- Pétrole
: production nationale presque nulle et pas de réserves
significatives malgré l'effort de prospection.
- Les insuffisances des autres énergies nouvelles :
- L'énergie solaire
: La France est actuellement parmi les nations
les plus avancées dans ce domaine, nous dit-on, mais on tergiverse sur l'importance
des surfaces de captation au sol et sur la puissance limitée des centrales solaires.
La conclusion est que le développement sera long pour des raisons techniques et que
dans les vingt prochaines années, l'énergie solaire ne pourra apporter qu'une faible
contribution au bilan énergétique national.
- La Géothermie
: La température des nappes en France ne dépasse pas 70°,
ce qui exclus tout espoir de transformation en électricité ou de transport à longue
distance et en limite l'usage au chauffage domestique et à l'approvisionnement en eau
chaude. Il est précisé qu'au cours des vingt prochaines années tout le gisement sera
exploité ce qui représentera le raccordement de 800.000 à 1 million de logements.
- L'énergie du vent
: Alors là on n'y croit manifestement pas. Aprés avoir
noté la faible puissance électrique d'une éolienne (1000 kW maximum), sa grande emprise
au sol (1ha), les nuisances sonores qu'elle génére nos spécialistes concluent que pour
produire une quantité équivalente à celles que fournira la centrale de Plogoff il faudrait
construire au moins 5000 éoliennes ce qui couvrirait la totalité du littoral finistérien.
- L'énergie marémotrice
: L'usine de la Rance est la seule usine de cette
importance dans le monde, mais il faudrait 15 usines identiques pour produire l'équivalent
d'une seule tranche de la centrale de Plogoff. Le seul autre site aménageable en France
serait dans la baie du Mont Saint Michel et encadrerait les îles Chausey. Mais, de lourds
investissements et des délais importants (20 ans) serait nécessaires pour réaliser ce
projet gigantesque. La production attendue équivaudrait à celle de Plogoff pour un
coût du kWh beaucoup plus élevé.
Les pouvoirs publics décident :
- de lancer une indispensable campagne d'économie d'énergie.
- de recourir massivement au nucléaire, "seule solution technique appropriée
pour satisfaire les besoins nouveaux en quantité suffisante dans les délais impartis".
Il était prévu qu'en 1985 le nucléaire couvre 20% des besoins énergétiques de la France ce
qui permettrait d'économiser l'achat de 43 millions de tonnes de pétrole.
Ce choix ne nous donne, cependant, qu'une indépendance toute relative car les réserves
d'uranium ne sont pas inépuisables. Par ailleurs, il comporte les risques inhérents à
toutes les installations nucléaires, mais le document se veut rassurant et nous indique
que l'hypothése d'un accident est de faible probabilité et que toutes les dispositions
sont prises pour assurer la sûreté des sites et la surveillance des rejets :
- Rigueur des procédures d'exploitation.
- Qualification des exploitants.
- Particularités des matériels.
- Contrôles réguliers en matiére de sécurité et de radio-protection.
Pour ce qui est des déchets radioactifs, dont le volume, nous dit-on, ne sera
pas énorme, leur gestion semble également bien maîtrisée :
- Déchets de moyenne et faible activité. Ils sont évacués vers les centres de stockage
où; ils sont entreposés dans des silos en béton.
- Déchets de haute activité. Ce sont les produits non utilisables isolés aprés
le retraitement à l'usine de La Hague. Ils sont vitrifiés et destinés, aprés un
stockage en surface durant quelques années ou dizaines d'années, à être enfouis
définitivement en sous-sol dans des couches géologiques stables et profondes. Leur
volume total devrait atteindre 3000 à 3500 métres cubes vers l'an 2000.
- La nécessaire diversification de nos ressources énergétiques est certes évoquée,
mais c'est sans grande conviction que seront poursuivies les recherches et les
expérimentations sur les énergies renouvelables. L'objectif pour ces derniéres reste
limité à 1% des besoins en 1985 soit l'équivalent de 2 millions de tonnes de pétrole.
Malgré les besoins en électricité de la Bretagne, la centrale de Plogoff ne verra
finalement pas le jour et c'est tant mieux pour le site de la pointe du Raz, mais
l'option nucléaire adoptée il y a trente ans continue à orienter la politique énergétique
de la France aujourd'hui.
Elle a certes permis de diminuer la consommation de combustibles fossiles et, en
conséquence, de réduire la pollution atmosphérique, notamment les émissions de Gaz à
Effet de Serre.
Par contre, elle est responsable du retard pris par notre pays en matiére d'énergies
inépuisables.
De plus, les risques d'émissions accidentelles de produits radioactifs, malgré
les normes de sécurité adoptées, ne peuvent être totalement exclus. Surtout en
cette période marquée par un terrorisme aveugle et alors que la privatisation d'EDF,
dont le savoir-faire est mondialement reconnu, est engagée. Le probléme du stockage
des déchets nucléaires restera, aussi, une source de préoccupations pour de nombreuses
générations.