Le Monde Economie 02/09/03

Réchauffement climatique : Le coût de l'imprévoyance

Par Alain Faujas et Antoine Reverchon

LA CANICULE DU MOIS D'AOÛT ANNONCE D'AUTRES CATASTROPHES, FAUTE DE MAÎTRISER L'EFFET DE SERRE

Pour les scientifiques comme pour les politiques, la cause est entendue : les 11.500 morts de la canicule ne forment que l'avant-garde des victimes et des dommages à venir du fait du réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre (GES). Innondations, sécheresses, tempêtes ne sont désormais plus l'apanage des pays du Sud. La nomination, en France de William Dab, un spécialiste des catastrophes sanitaires, à la tête de la direction générale de la santé, montre que ce défi fera désormais partie du quotidien des pouvoirs publics. La déclaration du président jacques Chirac le 21 Août, lors du conseil des ministres de rentrée, sur la nécessité d'une stricte application du protocole de Kyoto de lutte contre l'effet de serre, indique aussi que le mode de production des entrprises comme nos propres modes de consommation vont se trouver concernés par ce nouvel horizon de l'action publique.

D'ici la fin de l'année, les grandes entreprises françaises se verront fixer par les ministères de l'industrie et de l'environnement le nombre de tonnes de gaz carbonique (CO2), en partie responsable du réchauffement climatique, qu'elles devront s'abstenir de rejeter dans l'atmosphère d'ici à 2012. Cette nouvelle obligation est la conséquence de l'adoption définitive par le conseil des ministres européens, le 22 juillet, d'une directive instaurant un système d'échanges de permis d'émission de GES.

Ce marché ouvrira le 1er janvier 2005, et les Etats membres devront d'ici là transposer la directive et surtout partager le quota d'émission de CO2 dont ils disposent au titre du protocole de Kyoto entre les entreprises des secteurs concernés par la directive (industrie, énergie, bâtiment, mais pas la chimie ou les transports). Selon la procédure retenue par la directive, ce plan national d'octroi des quotas (PNOQ) devra être rendu public et débattu au sein de la "société civile" avant d'être remis au plus tard le 31 Mars 2004 à la commission de Bruxelles. D'où la nécessité de boucler la négociation d'ici la fin de cette année.

A vrai dire, les entreprises se préparent depuis un certain temps à cette échéance. Le Medef et d'autres associations patronales ont créé en septembre 2002 l'Association des entreprises pour la réduction de l'effet de serre (Aeres), qui regroupe aujourd'hui plus de trente entreprises (sidérurgistes, cimentiers, énergie, pétroliers, etc.) dont la plupart appartiennent au périmêtre concerné par la directive et qui représentent 80% des émissions de GES de l'industrie

Pour adhérer à l'Aeres, explique son président Yves-René Nanot, une entreprise doit prendre des "engagements volontaires" de réduction d'émission (de CO2 ou d'autres GES). Les entreprises ont ainsi anticipé afin, dans un premier temps, d'éviter de se voir imposer une fiscalité pollution et, dans le cycle actuel des négociations, de présenster une position aussi cohérente que possible, même si les branches professionnelles et le Medef y sont également parties.

L'essentiel de la discussion porte aujourd'hui sur la méthode d'élaboration du PNOQ : faut il prendre pour référence les émissions passées de chaque entreprise (en anglais le grandfathering) ou celles de la plus performante du secteur (benchmarking)? Les interêts divergents entre les branches, voire au sein des branches entre entreprises, promettant de belles foires d'empoigne.

Malheureusement, même le strict respect des objectifs de la directive ne suffirait pas à diminuer les émissions de GES au niveau fixé par la Comission dans son programme européen sur le changement climatique (PCCC), lancé en mars 2000. Car si l'industrie, engagée dans des programmes de réduction dans des programmes de réduction de sa consommation d'énergie depuis le premier choc pétrolier, émet de moins en moins de GES, ce n'est pas le cas de la construction immobilière - bureaux et logements - et surtout des transports. En France, l'industrie produit un quart du Co2 rejeté, le bâtiment en rejette un autre quart et les transports un tiers.

Dans la mesure où l'on connaît, dans le domaine de la construction et de l'équipement des logements et bureaux, les méthodes et les technologies les plus économes en consommation d'énergie carbone, l'effort des pouvoirs publics devrait d'abord se porter sur ce domaine, estiment les experts.

Pour les transports, c'est une autre paire de manches :Selon les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) dans son World Energu Outlook 2002, les transports raviront à l'industrie la place de premier consommateur d'énergie à partir de 2020. Selon l'AIE, il faudra donc être plus ambitieux que les politiqus actuelles de réduction des émissions de GES, en abaissant la demande énérgétique des transports des pays développés de 9% de façon à diminuer leurs émissions de CO2 de 10,1%.

Un tel résultat ne sera atteint qu'en jouant sur trois tableaux : augmentation de l'efficacité énergétique des véhicules, utilisation de carburants d'origine non fossile (biocarburants) ou renouvelable (propulsion hybride, piles à combustible), limitation des déplacements et transfert sur des modes de transports collectifs. Ce qui suppose des réglementations plus contraignantes, des crédits accrus de recherche développement et des fiscalités incitatives. Mais aussi des mesures impopulaires comme le péage urbain, l'interdiction d'emprunter un véhicule individuel à certaines périodes et des crédits d'investissements colossaux pour la construction d'infrastructure ferré à grand vitesse ou réservées au fret. Beaucoup depend aussi des comportements individuels en matière de déplacements, depuis le choix du transport, jusqu'à... la façon de conduire. Et il faudra une volonté politique particulièrement ferme pour obtenir de chacun d'entre nous ce qu'il est déjà difficile d'obtenir des entreprises.

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