Les echos Lundi 30 juin 2003

Energie : Fribourg cité modèle

Solaire et urbanisme "vert" à l'heure allemande

Par Anne BAUER envoyée spéciale

Paris, ministère de l'écologie et du Développement durable. Le secrétaire d'Etat, Tokia Saïfi, annonce à grand renfort de dossiers de presse le lancement de la semaine du développement durable. Elle a eu lieu de 2 au 8 juin. Qui s'en est aperçu? Huit jours pour sensibiliser le citoyen aux problèmes de la planète, c'est un peu court... Si l'on veut comprendre ce qu'est l'écologie au quotidien, mieux vaut se rendre en Allemahne. Entre Forêt-Noire et vallée du Rhin, non loin de Bâle, Fribourg-en-Brigsbau a la réputation d'être la capitale écologique de la république fédérale.

Les clichés attachés à cette ville étudiante de 210.000 habitants sont plutôt flatteurs : forêt, soleil, écologie et bien-vivre. Dès l'arrivée, il apparaît qu'ils ne sont pas usurpés. Ce n'est pas par hasard si, à la gare, la vitrine du kiosque à journeaux arbore les couvertures du dernier numéro de la revue "Greenpeace" et de "Géo". De rares voitures attendent les voyageurs, tandis que, en costume ou en short, tous les Fribourgeois, étudiants, hommes d'affaires, mère de famille... semblent avoir adopté la petite reine. Immédiatement, le regard est attiré par la "plus haute centrale solaire d'Allemagne", un immeuble de bureaux bleuté qui intègre sur 19 étages une robe de panneaux photovoltaiques, dont les reflets scintillent au soleil. D'ailleurs, le centre d'information touristique ne vante pas tant les mérites de la flèche ajourée de la cathédrale "Mûnster unserer lieben Frau" que ceux de la "solarRegion", Fribourg ayant décidé d'être le coeur allemand de l'énergie solaire.

Le vélo a supplanté l'auto

Pistes cyclables, tramways, banderoles sur la "Stadt Krieg um Öl" ("guerre municipale contre le pétrole"), le centre-ville répond au concept d'"urbanisme écologique": On y circule sans stress et surtout sans bruit. L'impression est quasiment celle d'une promenade à la campagne, tant la voiture a été proscrite. "Les citoyens ont un très haut niveau de conscience des enjeux environnementaux", confirme Gerda Stuchlik, adjointe au maire chargée de l'environnement, de l'éducation et des sports. Rien à voir avec l'image caricaturale des écologistes façon Larzac. La population vote à plus de 20% pour les "Grünen" et, lors des dernières élections municipales, en mai 2002, le candidat des Verts, Dieter Salomon, a été élu avec 64,4% des voix au second tour! Une façon pour les habitants de reconnaître que la politique environnementale très volontaristes engagée depuis vingt ans par l'ancien maire social-démocrate, aujourd'hui à la retraite, a eu des effets positifs.

Notre politique de planification énergétique s'est édifiée progressivement dans les années 1980 en réaction au projet de construction en 1976 d'une centrale nucléaire à Whyl, petit village entouré de vignobles situé à 20 km de Fribourg , explique Gerda Stuchlik. Il fallait non seulement résister, mais aussi proposer une alternative." En 1986, la municipalité formalise une politique ambitieuse : économiser l'énergie, utiliser des rechnologies performantes comme la cogénération et promouvoir les sources renouvelables. Une démarche encore renforcée dix ans plus tard avec l'adoption d'un plan de lutte contre le changement climatique. Objectif : diminuer de 25% les émission de CO2 de l'agglomération en 2010 par rapport à 1990. Un pari difficile car, à l'inverse de nombreuses villes allemandes, Fribourg enregistre une croissance constante de sa population.

Aussi, la ville a-t-elle multiplié les expériences en matiére d'urbanisme, de transport et d'habitat, au point de devenir un véritable laboratoire des politiques de maitrise de l'énergie. Ainsi de la "maison du vélo", a proximité immédiate des quais de la gare. Inauguré en 1999, ce bâtiment rond, en bois, avec éclairage solaire et toit végétalisé, est un peu le "Roissy" de la bicyclette: au rez-de-chaussée, on trouve un parking pour les voitures d'une entrprise de car-sharing, au premier étage, un garage gardé nuit et jourd'une capacité de 1.000 vélos, tandis qu'au 2éme et dernier étage, différentes boutiques offrent aux cyclistes toutes sortes de services : réparation, vente de pièces de rechange, location d'équipement comme les sièges ou remorques pour enfants, agence de voyages spécailisée dans les excursions à 2 roues, restauration. "Les voitures ont bien des stations-services, il fallait inventer quelque chose de similaire et de confortable à l'intention des cyclistes qui viennent prendre le train ou le bus pour se rendre à leur travail", explique Jürgen Hartwig, directeur de Freiburg Futour, une agence spécialisée "soleil et environnement". Pour un investissement modeste (2 millions d'euros), en partie payé par les recettes des taxes sur le stationnement, l'opération est un succés: le parking (75 centimes d'euros par jour) affiche complet.

En ville, le vélo a d'ailleurs supplanté l'automobile. Non sans mal. Au pays des grosses cylindrés et des autoroutes sans limite de vitesse, la municipalité a dû adopter un programme drastique: inscription de la quasi-totalité des quartiers en zone 30 (30 km/h au maximum), réduction du nombre de places de stationnement et hausse sévère des tarifs de parking. En revanche, l'offre de tramway et de bus n'a cessé de s'améliorer et près de 500 km de pistes cyclables ont été aménagés. Alors que les déplacements urbains ont augmenté de 30% depuis 1976, la part de la voiture est passée de 60% à 37% en 23 ans!

Des primes pour les panneaux photovoltaïques

Du côté des énergies renouvelables, la municipalité fait aussi preuve d'une persévérance remarquanle. En mobilisant les instituts de recherche, les industriels, les architectes, les artisans locaux, Fribourg a réussi à créer une réelle dynamique. Quelque 700 personnes travaillent dans ce nouveau secteur du "soleil" et plus de 10% des habitants, contre à peine 2% dans le reste du pays, ont zccepté de payer un surprix de 1,75 centime d'euro par kilowattheure pour consommer de l'électricité verte. L'apprentissage démarre très tôt: la municipalité incite toutes les écoles à construire avec leurs élévex des centrales solaires sur leurs toits.

Le distributeur local d'électricité, la société Badenova, dont le capital est controlé par la ville, joue un rôle moteur. Jamais un tel décollage ne se serait produit sans une coopération étroite entre l'équipe municipale et son électricien ("Stadtwerke"). A l'heure, Badenova offre une prime de 600 euros aux habitants qui se lancent dans l'installation de panneaux photovoltaîques et leur achète le courant, en vertu de la loi allemande sur les énergies alternatives. 0,45 euro le kilowattheure, un tarif 3 fois plus élevé que dans l'Hexagone. Résultat: avec unecapacité installée de 2,6 mégawatts, Fribourg produit davantage d'électricit" solaire connectée au réseau que le France entière.

Rest ele volet le plus difficile à mettre en oeuvre : celui des économies d'énergie. Là aussi, la ville a innové. Avant de lancer deux importants projets urbains, le quartier Vauban (38 hectares constructibles pour accueillir 5.000 habitants) et Riesenfeld (70 hectares pour 12.000 habitants), elle a décidé de soumettre la des terrains aux promoteurs à des critères draconiens de consommation d'énergie dans les logements réalisés. Dans le quartier situé sur le terrains de l'ancienne caserne Vauban, délaissé par l'armmée française en 1992, l'architecte Rolf Disch a mis au point le "Solarsiedlung", un lotissement solaire, ensemble de maisons groupées qui produisent plus d'énergie qu'elles n'en consomment.

L'écoconstruction fait ses preuves

En combinant matériaux de construction recyclables (bois, absence de PVC...), exposition forte à la lumière grâce à de grandes baies vitrées orientées vers le sud, isolation renforcée et toits solaires, les maisons "énergie plus" de Rolf Disch parviennent à produire entre entre 4.000 et 4.000kwh par an pour une consommation électrique de 3.000kWh en moyenne, hors chauffage, lequel est fourni par une chudière à bois qu'alimentent les résidus de la forêt avoisinante. Le prix de ces maisons est élevé: 3.500 euros le m2. Mais, selon l'architecte, il est compensé par les gains à venir: la vente d'électricité peut rapporter 250 euros par mois au propriétaire. L'nesemble de de la nouvelle zone résidentielle concentre une multitude d'expériences écologiques et sociales: la voiture n'est autorisée qu'à condition d'acheter un parking dans un garage construit à l'entrée du quartier. Les rues sont interdites au stationnement, si bien que les espaces verts collectifs s'harmonisent autour des constructions, qui marient le bois, le solaire, la récolte des eaux de pluies, la récupérationdu biogaz ou toute autre technique destinée à limiter l'utilisation des ressources naturelles.

Convivialité, harmonie, tranquilité, la demande est plus forte que le rythme de construction et Fribourg démontre, à grande échelle que l'écoconstruction n'est pas une utopie. En France, les colloques sur la "haute qualité environnementale" dans le bâtiment, la norme HQE, se multiplient, mais les réalisations tardent... Alors même que l'habitat représente plus du tiers des émissions de CO2 et constitue le gisement d'économies d'énergie le plus important.

Aujourd'hui, la municipalité de Fribourg, en crise financière en raison de la stagnation de l'économie allemande, craint de devoir tailler dans son budget d'aides à la maîtrise de l'énergie. Le bilan économique de sa politique est difficile à tirer et la ville attend une nouvelle évaluation de ses émissions de CO2 pour pouvoir faire le point. Mais une chose est d'ores et déjà acquise. Elle a gagné le pari de la qualité. Le résultat des dernières élections le prouve.

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